En Lozère, le Causse Méjean, comme une île en plein ciel ...
ARTICLE DU MONDE, si bien fait que je me suis permis de vous le présenter ...
© PATRICK BARD
Les cigales griffent le silence sous un soleil qui recuit le plateau calcaire. Là-bas, à plus de 1200 mètres d'altitude, la silhouette du Mont Gargo nargue les Cévennes. Nous sommes sur le causse Méjean, relié au reste de la Lozère par quelques saute-ruisseaux médiévaux, à peine des ponts jetés sur le Tarn et la Dourbie, rompant l'isolement des steppes qui ondulent dans la touffeur de l'été. En bas, les vignes, les canoës. Les bulles de la source de Quézac. En haut, le désert.
Quelques blés dansent au fond des dolines d'argile. Des villages ponctuent ça et là le causse. Peu. L'âge de pierre a duré, en ce pays ras. Le calcaire a suppléé le bois. En dehors des volets, des portes, pas une poutre. Pas un plancher. Les toits de lauzes sont supportés par des voûtes, des contre-voûtes qui donnent à la moindre grange, la moindre bergerie, des allures de cathédrale pour brebis.
AURÉLIE BOISSIÈRE
Le regard porte loin sur ces terres rudes, jusqu'au Mont Aigoual. Pas grand-chose ne l'arrête : 420km2 pour à peine plus de 430 habitants, une densité pré-sahélienne. L'été carbonise les pelouses sèches aux allures de Mancha, bornées de moulins à vent ruinés. La maigre silhouette du Quichotte pourrait bien surgir.
© PATRICK BARD
Mais non, c'est plutôt celle d'un berger qui mène son troupeau vers Nivoliers. Un pasteur à la barbe biblique que le vent irrespectueux ébouriffe. Christian Avesque est l'habitant au kilomètre carré de ce coin de désert. Le dernier berger salarié du causse. Un indigène atypique : “J'ai fait l'Algérie et après, je ne suis plus jamais reparti d'ici. Autrefois, il y avait plus de monde. Les bergers transhumaient, ils montaient des plaines du Languedoc avec leurs troupeaux. Tout ça, c'est fini. Heureusement, des nouveaux se sont installés. Certains méritent plus ce pays que ceux qui y sont nés. Ils l'ont choisi.” Comme Sébastien Carton de Grammont, qui veille sur les chevaux de Przewalski, au hameau du Villaret.
AURÉLIE BOISSIÈRE
Tout a commencé au tournant des années 1990. Przewalski, ultime représentant des équidés septentrionaux hérités de la préhistoire, a disparu des steppes mongoles où il vivait encore à l'état sauvage jusqu'au début du XXe siècle. Les derniers spécimens, à peine plus d'une dizaine, sont dispersés dans des zoos aux quatre coins du globe.
Avec le soutien du WWF, Claudia Feh, une passionnée de cheval, a initié “Takh”, un projet de sauvegarde et de réintroduction du cheval de Przewalski en Mongolie. Mais pour réussir, il lui faut d'abord acheminer les animaux depuis les zoos d'Europe jusqu'en un lieu où ils pourront vivre en semi-liberté et se reproduire afin que leur descendance renoue avec la vie sauvage. Un lieu proche par son apparence des steppes mongoles.
Ce sera le Méjean. Sébastien a vu grandir les chevaux : “Ils ont dû supporter les hivers rudes, les étés brûlants. Des hordes se sont constituées. Il y a quatre ans, les premiers spécimens ont été relâchés en Mongolie. L'opération est un succès. Le Méjean y est pour beaucoup. C'est un écosystème proche des steppes mongoles. L'eau en moins.”
Et pour cause. Le calcaire est une passoire. C'est aussi le socle du causse. Au tertiaire, le Massif Central n'est plus qu'une succession de collines érodées qui domine la mer. L'activité volcanique et la poussée des Alpes et des Pyrénées vont propulser l'Auvergne en plein ciel, jusqu'à 1500 mètres d'altitude et plus. Au sud, les fonds marins surgissent des eaux en une gigantesque dalle de calcaire de plusieurs centaines de mètres d'épaisseur, formée au cours de centaines de millions d'années de coquillages, de micro-organismes tassés en couches successives par la pesanteur océane.
© PATRICK BARD